Quatre matelots face à la redoutable Marine

Sham’s, formateur en art oratoire, a l’habitude de coacher les politiques locaux et d’évaluer les qualités d’orateur des grands leaders nationaux et internationaux (Obama, Sarkozy, Fillon, Hollande, etc.). Cette année, en observant les vidéos des meetings des candidats à la présidentielle, il a eu froid dans le dos tant il lui est apparu que Marine Le Pen avait bien travaillé son personnage et était au-dessus du lot. « Elle est redoutable, on peut même craindre qu’elle soit élue dès le premier tour », avance-t-il.

François Fillon le cerveau

Étonnant ! Sham’s avait déjà analysé en juin 2013 l’orateur François Fillon. Il relevait alors : « il ne lâche jamais ». Un jugement prémonitoire pour celui qui maintient coûte que coûte sa candidature malgré les affaires et les mises en examen. Sous le quinquennat de Sarkozy, les deux hommes se partageaient les rôles : le Président incarnait « les tripes et l’affect ». Et le Premier Ministre « le cerveau et la raison ». « Puis François Fillon a voulu passer de l’arrière vers l’avant mais il n’a pas le souffle de l’orateur. Quand Marine Le Pen fait vivre son texte, lui assure le service minimum du lecteur. Il veut convaincre par la raison mais on convainc plus par l’affect que par l’intellect. Il montre qu’il est prêt à tout sacrifier au nom de la raison. Il ne recule jamais et serait pire que Margaret Thatcher lors des grèves des mineurs en Angleterre. « Par instinct de survie il s’est un peu amélioré lors de son grand meeting du Trocadéro mais il ne sourit toujours pas. Un rictus n’est pas un sourire, il faut montrer les dents. Sa voix se perd en hauteur, si bien qu’on ne sait pas quand il faut l’applaudir. Sarkozy doit se gausser devant l’absence de rythme de ses discours. Fillon devrait s’enflammer pour capter au-delà de son socle de base. Qu’il libère la passion car les Français en ont marre du type de parler des énarques ».

Benoît Hamon le timide

Le candidat socialiste ne sourit pas « par timidité plus que par froideur ». « Il faut qu’il se hisse à la hauteur d’un candidat à la présidence de la République. Il devrait se tenir droit derrière son pupitre mais il se tient à côté. Je sais que c’est difficile de faire président. Hollande a mis deux ans et demi avant de rentrer dans le costume. Quand on veut succéder à Napoléon et à De Gaulle il faut l’assumer. Hamon croit ainsi être plus proche de ses électeurs mais il doit accepter le contrat de la rampe car il ne peut pas y avoir de rencontre s’il n’y a pas séparation. Au lieu de cela, il nous fait coucou comme s’il passait voir ses copains au bistrot.

« Quelle idée aussi de vouloir révolutionner le schéma séculaire de la scène en frontal avec son public ! Benoît Hamon est entouré par les spectateurs, ce qui l’amène constamment à tourner le dos à certains. Il n’a pas de base au sol, il joue avec le petit doigt de sa main et ferme son corps ; il marche sans cesse au point de paraître agité. Son discours manque de souffle. Il n’y a pas de véritable échange avec le public. Il devrait faire comme Obama, fixer successivement du regard quelqu’un dans l’assistance suffisamment longtemps. C’est ce que j’appelle du butinage. Mais là, Benoît Hamon papillonne et n’attrape personne. Au contraire, on regarde un pupitre vide en attendant que quelqu’un l’investisse. »

Jean-Luc Mélenchon le fasciné

« Il dispose des qualités manifestes du tribun. Il le sait et joue de sa lyre pour conférer de la musicalité à son discours, comme Malraux et De Gaulle avant lui. Mais ça lui est monté à la tête. Désormais il veut trop en faire avec son hologramme ou sa façon de tourner sur la scène comme un rockeur. Il devrait relire Cicéron qui, dans son livre Oratoire, écrit près de 160 ans avant Jésus-Christ, disait qu’il fallait se contenter de très rares déplacements. Souvenez-vous d’Edith Piaf, Elle touchait tous les cœurs en restant pourtant fixe derrière son micro.

« Mélenchon est fasciné par Mélenchon»

« Jean-Luc Mélenchon pointe ses deux doigts vers la foule, il vocifère, il martèle, il tape, même quand il parle de son projet. Il devrait changer de registre, faire preuve d’empathie comme sait le faire Marine Le  Pen. Du fait de la spirale mimétique de l’agressivité, il en devient détestable alors qu’il devrait se caler, se maîtriser, s’ouvrir réellement aux gens. Il est devenu un cracheur de venin. Il est extasié par son propre discours. Il a le culte du savoir. Emportée par sa logorrhée, il ne parle pas vraiment à son public. En fait, Mélenchon est fasciné par Mélenchon, c’est pour ça qu’il n’y avait aucune chance d’alliance à gauche, surtout avec un Benoît Hamon qui n’assume pas la grandeur de son ambition. S’il ne suscite pas d’empathie comment pourrait-il convaincre au-delà de la communauté des révoltés ? »

Emmanuel Macron le fragile

« Son point fort c’est son sourire, mais c’est un candidat par défaut qui récupère les déçus de Manuel Valls et d’Alain Juppé. Il a bénéficié d’un incroyable alignement des astres. Il est porté par l’histoire mais ce n’est pas lui qui porte l’histoire. On dirait qu’il n’en revient pas lui-même. Il n’a aucune expérience des combats de gladiateurs que sont les joutes électorales. Il parle sans souffle et sans lyrisme, c’est soporifique, monocorde. Quand il essaie de compenser ses lacunes, son discours se termine en cri. « Une envolée de Macron ça dure 30 secondes quand Mitterrand était capable de tenir deux heures. C’est un intuitif et un chanceux qui n’a pas encore eu le temps de devenir un grand orateur. Lui aussi tourne souvent le dos à la scène. Son phrasé manque de rythme. Il se tient mal. Je l’ai vu perdre sa totémisation (verticalité) en débat face à Florian Philippot. « Emmanuel Macron, le bon élève, doit apprendre à enflammer la salle. Une théâtralisation est nécessaire, il doit se placer au centre, en hauteur, à la lumière. Comme en amour on doit sentir de l’interaction, le discours doit vivre car le public vient pour vibrer ». « Trop dans le moi-je, il n’est que le candidat de ceux qui ne veulent ni du boucher qui va faire saigner (Fillon) ni de Marine Le Pen. Sa base électorale est des plus fragiles, au moindre problème tout peut s’envoler ».

Marine Le Pen la redoutable

« Elle a beaucoup d’aisance et peut tout se permettre : la colère, l’empathie, l’ironie, la caricature, le mime… Elle habite la tribune, elle y monte en jouant la chef d’orchestre. Si elle ne sourit guère aux journalistes, elle montre un sourire éclatant devant les gens. Un redoutable sourire qu’elle prolonge en ouvrant les bras. Il est plus difficile de recevoir que de donner, mais elle, elle reçoit les acclamations, elle est réceptive. « Marine Le Pen occulte le principe de réalité. Elle reçoit ce que désire la foule et elle le lui rend, même si ce qu’elle renvoie n’est pas réalisable, pas finançable. C’est digne des plus grands populistes. Et le reste de la classe politique gagnerait à s’inspirer de l’efficacité de ce populisme-là plutôt que de le traiter par le mépris. Les autres politiciens apparaissent fermés, ils n’écoutent plus la population sinon par le biais d’un assistant entre deux portes. Quand les gens se sentent écoutés, ils sont prêts à tout pardonner comme les Américains n’ont pas tenu rigueur à Donald Trump de son machisme. « Marine Le Pen a travaillé beaucoup plus que les autres pour s’approprier des thèmes de la gauche pour chanter la France. C’est lyrique, c’est simple, c’est incarné. Elle déroule le discours qu’auraient dû avoir les autres pour défendre la cause des ouvriers, des agriculteurs, la grandeur de la France… Elle a même préempté le rouge du communisme. Elle flatte le peuple avec son slogan : « Au nom du peuple » Les discours de ses adversaires sont hors sol alors que la candidate FN sait toucher les instincts premiers des on auditoire. Ne croyez pas que son public lui reproche d’être raciste ! Et Marine Le Pen sait s’adresser au-delà de ceux qui viennent l’écouter. Elle dit défendre les professeurs, les médecins, les magistrats…Elle évoque Proust et Balzac, qui doivent se retourner dans leur tombe. Elle tisse le rêve comme une poétesse ».

Franck CELLIER

LU DANS LE JOURNAL LE QUOTIDIEN DE LA REUNION DU 20 MARS 2017
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